- STÉFAN (JUDE)
- STÉFAN (JUDE)STÉFAN JUDE (1936- )Quand on relit le premier recueil de poèmes de Jude Stéfan (Cyprès , 1967), on ne peut qu’être saisi d’y voir rassemblés tous les thèmes futurs de l’œuvre: la fascination de la mort, l’amour effréné des femmes et le désir d’oubli, la vindicte à l’égard de l’irréparable lâcheté humaine, enfin le souvenir passionné de la sœur et de l’enfance indissociables, qui permet l’évocation par bribes de tout un univers Mitteleuropa , dans lequel le passé révolu ferait corps avec l’innocence perdue. Une telle indistance dans l’œuvre poétique et narrative de Jude Stéfan n’est possible que parce que sont exprimés là bien autre chose que des thèmes ou des souvenirs: plutôt des mouvements premiers de l’être, à partir desquels pourra se dire, dans toute sa nudité et sa cruauté, le simple fait d’exister.Ces mouvements premiers, où la passion et l’angoisse se composent et semblent constamment doublés par le sarcasme et l’ennui, tout le talent de Jude Stéfan aura été de leur insuffler une charge rythmique et émotive toujours plus intense. Progression dont témoignent ses recueils: Libères , 1970; Idylles suivi de Cippes , 1973; Aux Chiens du soir , 1979; Suites slaves , 1983; Laures , 1984; À la vieille Parque , 1989; Prosopées , 1995. Voici une œuvre qui n’hésite pas à affronter «la défaite du quotidien» (Michaux) et qui simultanément, grâce à la richesse de ses coloris et de ses inflexions, parvient à inclure en soi, pour le faire revivre, ce que la poésie a de meilleur: de Martial et Catulle à Rimbaud, sans oublier Baudelaire, Scève, les grands baroques. L’écriture de Jude Stéfan se veut cruelle, grinçante. Elle interpelle âprement «l’hypocrite lecteur». Dans le même temps, il lui arrive de parvenir à une douceur qui est comme brisée, parfois à une transparence rare. Surtout, jusque dans ses syncopes, elle nous parle au plus près, musicalement. Beaucoup de ces poèmes sont aussi de lapidaires récits: moments d’emportement ou de déroute que l’auteur a su développer dans plusieurs recueils de nouvelles (Vie de mon frère , 1973; La Crevaison , 1976; Les Accidents , 1984; Les États du corps , 1986; La Fête de la patronne , 1991; Le Nouvelliste , 1993). «Pourquoi suis-je moi?» Jude Stéfan ne fournit, bien sûr, aucune réponse à cette question. Il se contente de la ressasser, d’en méditer tout le poids d’énigme et de douleur mêlées, y compris dans des pages à caractère autobiographique (Faux Journal , 1986; Dialogue des figures , 1988).
Encyclopédie Universelle. 2012.